HISTOIRE DE LA DIVERSIFICATION ADAPTATIVE DE LA PASTÈQUE AU COURS DE SON EXPANSION GÉOGRAPHIQUE : DE LA COLLECTE OCCASIONNELLE D’UNE PLANTE AMÈRE DES DÉSERTS NAMIBIENS DU KALAHARI ET DU NAMIB À LA CULTURE INTENSIVE D’UNE PLANTE DOUCE DANS LA PROVINCE CHINOISE DU JIANGSU
Taxinomie
Le genre Citrullus appartient à la famille Cucurbitaceae (2 sous-familles, 8 tribus, 118 genres et 825 espèces), la sous-famille Cucurbitoidae, la tribu Benincaseae, et la sous-tribu Benincasinae (Dane & Liu, 2007) : il comprend quatre espèces diploïdes (2n = 22) distribuées en Afrique, Asie, et Méditerranée (Levi, Thomas, Keinayh, & Wehner, 2001). Le genre Citrullus comprend l’espèce cultivée (Citrullus lanatus (Thunb.) Matsum. & Nakai, 1916), et trois espèces sauvages : (Citrullus colocynthis (L.) Schrad.), (Citrullus ecirrhosus Cogna.), et (Citrullus rehmii De Winter). L’espèce (C. colocynthis (L.) Schrad.) est une plante vivace principalement cultivée pour produire la coloquinte cathartique, et largement distribuée en Afrique du Nord, Asie du Sud, et région méditerranéenne. L’espèce (C. ecirrhosus Cogna.) est une plante pérenne et l’espèce (C. rehmii De Winter) est une plante annuelle, toutes les deux sont endémiques du désert du Namib (Jeffrey, 1975; Levi et al., 2001). La pastèque (Citrullus lanatus (Thunb.) Matsum. & Nakai, 1916) est une espèce annuelle dont les formes cultivées, semi-domestiquées et sauvages sont largement distribuées dans les zones tropicales et subtropicales (Jeffrey, 2001; Robinson & Decker-Walters, 1997). Différents systèmes de classification infraspécifiques ont été proposés pour la pastèque, et un système reconnaît trois sous-espèces : (Citrullus lanatus ssp. lanatus), (Citrullus lanatus ssp. vulgaris (Schrad.) Fursa), (Citrullus lanatus ssp. mucosospermus Fursa) (Fursa, 1981; Jeffrey, 2001). Les formes les plus largement cultivées, à savoir les fameux fruits rouges sucrés, sont attribuées à la sous-espèce (Citrullus lanatus ssp. vulgaris (Schrad.) Fursa) (Fursa, 1972; Jeffrey, 2001). En termes de variété botanique, la tendance actuelle semble se faire vers une classification en deux variétés : la pastèque cultivée (Citrullus lanatus var. lanatus) et la pastèque « cédrat » (Citrullus lanatus var. citroides) cultivé dans des zones limitées à travers le monde (Dane & Liu, 2007; GRIN, 2010; Jarret, Merrick, Holms, Evans, & Aradhya, 1997). La pastèque douce (ou « à dessert ») et la pastèque « egusi » appartiennent à la variété lanatus, tandis que les cultivars primitifs et les formes sauvages du désert du Kalahari – dont la peau est utilisée pour les conserves, gelées et confitures – appartiennent à la variété citroides (Dane & Liu, 2007).
Origine, domestication et dispersion
Malgré l'importance économique de la pastèque, ses événements de domestication et ses relations phylogéographiques n’ont que récemment attiré l'attention scientifique : pourtant, comprendre cela est fondamental pour l'étude de sa diversification évolutive (Van Zeist, 1983). Toutes les espèces du genre Citrullus sont originaires d’Afrique, et l'Afrique australe est généralement considérée comme le centre d'origine de pastèque (Dane & Liu, 2007), mais le processus de domestication de la pastèque n’est pas encore clair : un foyer génétique probable est localisé dans la région du désert du Kalahari (Esquinaz-Alcazar & Gulick, 1983), où les espèces peuvent encore être trouvées dans la nature sous des formes diverses (Van der Vossen, Denton, & El Tahir, 2004). Mais il a également été suggéré qu’elle pourrait être originaire de la région sahélienne dans le nord de l’Afrique : des graines de pastèque découvertes sur un site archéologique dans le sud-ouest libyen rouvre le débat sur l'origine, la distribution et la domestication de cette plante (Wasylikowa & van der Veen, 2004). La pastèque est cultivée depuis longtemps au Moyen-Orient : au moins 4000 ans en Égypte (Gichimu, Owuor, Mwai, & Dida, 2009; Huh, Solmaz, & Sarı, 2008), au moins 5000 ans en Libye (Hepper, 1990). Les plus anciens documents publiés sur la pastèque proviennent d’Égypte, plus précisément de la tombe de Toutankhamon (datée de -1330) (Van Zeist, 1983). Des restes de graines de pastèque ont été excavés de deux sites moyenâgeux hongrois : Debrecen (13ème et 14ème siècle) et Budapest (15ème siècle) : une analyse comparative – d’un échantillon d'herbier du 19ème siècle (retrouvé dans l’abbaye bénédictine de Pannonhalma) et de quarante-quatre variétés actuelles – a montré que les échantillons moyenâgeux sont proches des variétés actuelles présentant une chair rouge, ce qui indique la culture préférentielle pour les pastèques à chair rouge (et non à chair jaune) au dès le Moyen-Âge en Hongrie (Gyulai, Waters, & Dane, 2008). C’est aussi ce que montre pour l’Europe méditerranéenne l’étude de l’iconographie médiévale de la pastèque (Paris, Daunay, & Janick, 2013). La dispersion de la pastèque de l’Afrique à l’Asie est datée à environ 800 après J.-C., pour arriver en Europe au 13ème siècle, et a été ensuite apporté par les espagnols au 17ème siècle en Amérique – la culture a commencé dans le Massachusetts dès 1629 (Mohr, 1986) et a été accepté par la suite par les amérindiens (Blake, 1981) – pour devenir rapidement une culture très populaire (Robinson & Decker-Walters, 1997) : elle est depuis lors cultivée dans l'hémisphère occidental (Levi & Thomas, 2001). La pastèque serait soit dérivée de la forme amère de Citrullus lanatus ssp. vulgaris (Schrad.) Fursa (Mallick & Masui, 1986), soit dérivée de Citrullus colocynthis (L.) Schrad., soit domestiquée à partir de formes supposées sauvages de Citrullus lanatus var. citroides (Maynard, 2001).
Culture intercalaire
La pastèque étant résistante aux sécheresses, elle présente un intérêt particulier dans les zones africaines semi-arides (Kawasaki et al., 2000; Yokota et al., 2002) : dans de telles conditions, elle est surtout cultivée comme une sous-culture semée en intercalaire avec des céréales (par exemple, le mil une céréale dominante en Namibie) ou des légumes-racines pour réduire le risque de défaillance complète de la récolte et assurer ainsi la sécurité alimentaire (Munisse, Jensen, Quilambo, Andersen, & Christiansen, 2012). À noter qu’il existe relativement peu d'études de cultures intercalaires concernant la pastèque en Afrique (Ikeorgu, 1991; Matanyaire, 1998). Les agriculteurs africains cultivent trois types différents de pastèques : « à dessert », « semences », « cuisine » (à la frontière nord du désert du Kalahari) (Maggs-Kölling, Madsen, & Christiansen, 2000). Dans les pays d’Afrique de l’Ouest, les graines de pastèque peuvent être utilisées comme source de nourriture (Loukou et al., 2007) : cela a notamment été observé au Bénin (Achigan-Dako et al., 2008). La culture de pastèque est surtout connue pour la consommation de sa chair sucrée et juteuse, cultivée dans les climats chauds partout dans le monde (Jeffrey, 2001; Robinson & Decker-Walters, 1997). Graines et chair de Citrullus lanatus var. citroides peuvent également être utilisés pour les préparations alimentaires (Dane & Liu, 2007; Maggs-Kölling & Christiansen, 2003), mais sont souvent destinées à l'alimentation animale (C Mujaju et al., 2011). La pastèque est connue pour son utilisation comme dessert, mais elle a d'autres usages polyvalents en Afrique : par exemple, en Afrique australe, les agriculteurs cultivent des pastèques de type « cuisson » (Maggs-Kölling et al., 2000; C Mujaju et al., 2011). La chair de pastèque est une source naturelle importante de : caroténoïdes, précurseurs de la vitamine A ; citrulline, un acide aminé pouvant être métabolisé par l’arginine, étant un substrat pour la synthèse de l'oxyde nitrique, et jouant un rôle dans les fonctions cardiovasculaire et immunitaire (Collins et al., 2007; Edwards et al., 2003; Setiawan, Sulaeman, Giraud, & Driskell, 2001).
Agriculture intensive
Les programmes de reproduction de la pastèque ont pour objectifs : rendement, qualité (ex. taille des fruits pour l'emballage ; opposition à la récolte mécanique ; couleur, douceur et texture de la chair), précocité, port nain, résistance aux maladies, et développement de cultivars (diploïdes F1 hybrides ou triploïdes sans pépins) (Mohr, 1986). La descendance du croisement d’un tétraploïde (parent maternel) et d’un diploïde (parent paternel) donnent des triploïdes pratiquement stériles (Kihara, 1950) : les fruits présentent un petit manteau de graines vides ou parfois quelques graines (Robinson & Decker-Walters, 1997). Toutefois, la fructification dépend de la pollinisation d'une plante diploïde rendant la production coûteuse et difficile étant donné que dans un espacement d’1,5 m entre les rangs, une rangée de pollinisateur diploïde doit être ajoutée pour quatre rangées de triploïdes hybrides (Nesmith & Duval, 2001). Les biotechnologies sont utilisées pour résoudre des problèmes de reproduction spécifiques : le développement de cultivars résistants aux virus les plus importants transmis par les pucerons a été fait à travers l'expression transgénique de la protéine d'enveloppe du virus dans différentes espèces de cucurbitacées, dont la pastèque (Arce-Ochoa, Dainello, & Pike, 1995). La Chine est aujourd’hui le plus important producteur et consommateur mondial de pastèque : à elle seule, en 2013, elle en a produit 73.188.838 tonnes (FAO, 2015). La production de pastèque en Chine est principalement concentrée dans la province du Jiangsu (Ma, 2006), et plus de 300 cultivars de cette plante ont été développé dans ce pays au cours des vingt dernières années (Han, Zhou, Huang, & Qin, 2009) : un grand nombre de variétés bien connues proviennent d’ailleurs de Chine (Wehner, 2008). En 2013, avec 3.947.057 de tonnes produites annuellement, l’Iran occupe le 2ème rang derrière la Chine, talonné de près par la Turquie avec 3.887.324 de tonnes (FAO, 2015). Du fait de l’importance économique de la pastèque, les maladies l’affectant font l’objet de nombreuses recherches (Maynard & Hopkins, 1999), comme par exemple l’oïdium (émergeant notamment aux Etats-Unis) (Davis, Box, Tetteh, Wehner, & Carolina, 2007; Davis, Bruton, Pair, Central, & Carolina, 2000) et la protéobactérie Acidovorax citrulli (Melo, Tebaldi, Mehta, & Marques, 2014).
Diversité à l’échelle variétale et génétique
Trois pays d’Afrique australe font l’objet d’études concernant la diversité des variétés locales de pastèques : Namibie (Brush, 1991), Mozambique (Munisse, Andersen, Jensen, & Christiansen, 2011), et surtout Zimbabwe (Brush, 1991; C. Mujaju et al., 2010; Claid Mujaju, Werlemark, Garkava-Gustavsson, Smulders, & Nybom, 2012). L'étude de la répartition géographique des lignées de plantes peut aider à synthétiser l’histoire des échanges génétiques, et fournir un aperçu des différents facteurs façonnant la diversité génétique de l'espèce et les origines des cultures (Avise, 2000; Gepts, 2003). L’ADN chloroplastique est de plus en plus utilisé par les phyto-systématiciens car hautement conservé, à évolution lente, et hérité de la mère : il est donc très utile pour déterminer les relations phylogénétiques, et l'origine et l'évolution des espèces végétales (Graham & Olmstead, 2000; Shaw et al., 2005; Soltis, Soltis, & Doyle, 1998). Des études de marqueurs moléculaires faites sur la pastèque ont rencontré de faibles niveaux de diversité génétique, cela ayant notamment entravé le développement de cartes de liaison et l'identification des cultivars (Hashizume, Shimamoto, & Hirai, 2003; Hawkins, Dane, Kubisiak, Rhodes, & Jarret, 2001; Jarret et al., 1997; Levi, Thomas, Newman, Reddy, & Zhang, 2004). La pastèque « egusi » (Citrullus lanatus var. lanatus) a divergé en lignages distincts et semblent avoir évolué indépendamment à partir d'un ancêtre commun, éventuellement l’espèce (Citrullus ecirrhosus Cogna.) (Dane & Lang, 2004). La diversité génétique des cultivars de pastèque à travers le monde attire tous les regards et fait aussi l’objet de nombreuses études (Guo et al., 2013; Hwang, Kang, Son, Kim, & Park, 2011; Ocal et al., 2014; Uluturk, Frary, & Doganlar, 2011) : par exemple, la pastèque cultivée en Chine (Wang, Li, Hu, & Su, 2015) ou encore celle cultivée au Mozambique – moins de 100 tonnes produites en 2013 (FAO, 2015) – (Munisse, Jensen, & Andersen, 2013).
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